Le texte qui suit consiste pour une large part en une étude de l’œuvre de l’Auteur-Monde David Cosandey dans ses apports à la constitution de l’histoire fonctionnelle, indispensable correctrice de l’histoire identitaire évènementielle. Le lecteur, normalement immergé en celle-ci et habitué à sa vision singularisée peut avoir des réserves concernant telle analyse fonctionnelle des évènements. Il peut aussi comprendre que l’histoire identitaire évènementielle nous submerge. Il nous faut découvrir comment la penser fonctionnelle pour nous situer dans son évolution planétaire et millénaire. Pour devenir capables d’y réagir mieux que nous ne l’avons fait jusqu’ici, en ne parvenant pas à retenir les humains sur la pente des monstruosités.
Nous n’allons pas dans ce sens. Nous ne cessons pas de limiter l’enseignement de l’histoire. Nous pensons que nous devons nous en détacher. Nous la considérons comme superfétatoire, anecdotique même. Bref, nous ne vivons plus que dans et pour le présent. Sans pouvoir le situer, le comparer, l’analyser en fonction de tout ce qui a contribué à le faire ce qu’il est devenu.
Nous nous coupons de nos sources historiques, mais aussi, avant elles, de nos sources naturelles, cosmiques, qui se comptent en milliards d’années. Dans ces conditions, nous ne sommes toujours pas en mesure de répondre à l’injonction grecque qui nous recommandait de nous connaître nous-mêmes.
L’histoire fonctionnelle comporte aussi inconvénients, déviations et perversions. Les deux histoires, identitaire et fonctionnelle, sont interactives, inséparables, se complètent et se corrigent.
Dans ces diverses expressions liées de l’histoire, les inévitables énoncés généraux utilisés ne doivent pas être pris comme référant à des entités substantielles existant par elles-mêmes. Que ce soit les pays d’un point de vue identitaire : la France, la Chine, etc. Ils sont de grandioses symboles de milliards de conduites humaines dont la cohérence est toujours à comprendre.
Que ce soit d’un point de vue fonctionnel : la tribu, le royaume, l’empire, la nation. Et de même : la politique, l’économie, la religion. A fortiori les multiples et changeantes oppositions binaires, ternaires et plus, comme « autorité, liberté » ou « particulier, général, singulier ».
Ce sont, toujours dans leurs contextes, des acteurs humains qui, associés et dissociés, directement ou indirectement, consciemment ou non, sont les producteurs de l’histoire. Cependant les collectifs, ensembles constitués de facto, ou institués de jure, dans lesquels ils le font, jouent bien entendu leur rôle contextuel et donc historique aussi.
Dans ces conditions, l’histoire intégrale est en réalité toujours à la fois identitaire évènementielle et fonctionnelle destinale. Et son étude, pareillement.
C’est pourquoi nous ne devons pas seulement opposer les auteurs et leurs œuvres, mais aussi les composer. C’est ce que nous ferons ici concernant J. Needham, D. Cosandey, F. Jullien, H. Van Lier.
Quant au thème – la genèse et l’évolution inter-sociétales historiques des découvertes scientifiques et des inventions techniques – il est lui aussi traité des deux points de vue.
Il relève de l’optique identitaire quand il s’agit des penseurs, des chercheurs, des inventeurs et des responsables politiques. Par contre, il relève de l’optique fonctionnelle antagoniste et complémentaire quand il s’agit de savoir comment se produisent découvertes et inventions et quel sens elles ont pour le destin des humains.
Les auteurs, étudiés ici, contribuent à nous faire découvrir que le développement des sciences a connu deux régimes sur trois millénaires. Les humains ont fait des progrès de plus en plus grands à mesure qu’ils passaient du premier régime de science au second. Or, les progrès spectaculaires de ce second régime de science sont parvenus à un stade où il faut bien constater à leur côté la présence de monstrueux massacres lors des deux Guerres mondiales ainsi que la menaçante paix nucléaire d’aujourd’hui.
Cette conjonction d’une science miraculeuse et de conduites monstrueuses nous conduit au bord d’une nouvelle question : ne nous manquait-il pas un autre régime de science, un troisième, seul en mesure d’aborder et de traiter ce paradoxe ?
Une étude supplémentaire devra prolonger la présente étude pour découvrir si le troisième régime de science n’est pas déjà né sans que nous en ayons une claire perception. De nouveaux auteurs seront sollicités, comme Ilya Prigogine, Isabelle Stengers, Régis Debray, Giorgio Agamben, Amartya Sen, prix Nobel d’Economie 1998 et Michel Blay (2017), récent critique de l’histoire des sciences.