Word World (par Jacques Demorgon)

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Cf. Juin 2021 : « L’ÉCLAT OFAJ » article de Jacques Demorgon

in Une « École OFAJ ». Enjeux et Perspectives de la recherche interculturelle franco-allemande, juin 2021, Paris-Berlin : OFAJ-DFJW

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CULTURES : OFAJ-DFJW, RECHERCHE-ACTION – DEMORGON  –

Sources : Christophe Morace : « Comment développer les compétences interculturelles par apprentissage expérientiel ? Applications et implications de la théorie de Jacques Demorgon » In Revue  de l’École des Ponts/ParisTech – Conférence des Grandes Écoles – UPLEGESS, 2011) – Submitted on 6 Jun 2016 (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00497548/document)

1. Formations au management interculturel dans les Grandes Ecoles 

L’objectif majeur de cet article consiste à présenter les travaux de Jacques Demorgon en les illustrant à travers un exemple d’une formation au management interculturel assurée dans des Ecoles d’Ingénieur et de Management. Les exemples concrets de situation interculturelle, vécue par les étudiants, cités dans ce document nous rappellent les situations d’apprentissage expérientiel auxquelles Jacques Demorgon a lui-même participé dans le cadre de formation- action-recherche (Demorgon [1998]2002). Il s’est appuyé sur les observations-participantes (Demorgon 2006a) de ses nombreux stages résidentiels et d’équipes interculturelles ou internationales ainsi que sur un travail d’exploration (Demorgon 1989) et de recherche académique (Demorgon [1996] 2004, 2010 ; [1998]2002, 2005, 2009) afin de développer une théorie, depuis appelée multiperspectiviste, de l’interculturel. 

Les Grandes Ecoles préparent les futurs ingénieurs et managers à la complexité des entreprises dans le contexte international d’un environnement globalisé. Elles sont de plus en plus nombreuses à mettre en place des dispositifs de formation permettant d’apprendre à gérer la complexité. Nous décrivons dans les sections suivantes comment l’approche interdisciplinaire de Jacques Demorgon, issue d’une recherche sur les rencontres expérientielles et interculturelles franco-allemandes, permet de créer un contexte pédagogique plaçant les élèves en situation réelle d’une expérience interculturelle. En plus d’une épistémologie et d’une théorie de l’interculturel, la théorie de Jacques Demorgon nous livre également la méthodologie permettant l’identification, l’analyse et la compréhension des compétences interculturelles développées par les apprenants dans la situation interculturelle créée qu’il appelle « intérité ». 

Si l’on veut découvrir l’œuvre de Demorgon, il faut apprendre à vivre un réel apprentissage interculturel dans ses différentes formes de compréhension et d’appréhension, appréhension dans le sens où l’on découvre l’autre, les autres et soi-même sans porter de jugement ou en avoir peur. Pour Demorgon, on ne peut parler de compétence interculturelle « de la compréhension et de l’agir » (Demorgon 2005a:196) que si l’on est d’abord passé par différentes incompétences interculturelles réellement vécues, analysées et comprises. Selon lui, il ne peut y avoir une théorie interculturelle déconnectée du vécu, ni d’expérience interculturelle qui ne soit pas réfléchie. Ainsi, ses travaux sont ancrés à la fois dans les théories et dans le réel. 

Dans les sections suivantes, nous présentons tout d’abord le cadre conceptuel, c’est-à-dire le modèle théorique interculturel de Jacques Demorgon qui a permis de créer une démarche pédagogique d’apprentissage expérientiel et d’observer l’émergence de compétences interculturelles. Nous présentons les résultats du dispositif d’apprentissage à l’aide de transcriptions des élèves que nous approfondissons ensuite à l’aide des apports épistémologiques et théoriques de Jacques Demorgon. Nous abordons ensuite les apports et les limites et les améliorations possibles de la démarche pédagogique poursuivie avant de conclure sur un bilan et des perspectives possibles de l’approche multiperspectiviste mise en oeuvre. 

2. Les travaux de Jacques Demorgon

2.1 Action-recherche en contexte franco-allemand 

L’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse a vu le jour avec le Traité de l’Elysée en 1963. L’OFAJ a eu pour mission de créer une amitié entre l’Allemagne et la France et de renforcer les liens franco-allemands en misant sur les perspectives de la jeunesse dans les deux pays. C’est à partir de cette époque que les échanges franco-allemands se sont développés. De nombreux jumelages ont été établis entre villes françaises et allemandes, les partenariats entre Ecoles et universités se sont multipliés. Les échanges d’élèves et d’étudiants se sont rapidement accrus et des rencontres bi-nationales, à vocation culturelle et linguistique, ont eu lieu dans les deux pays. Le rôle de l’OFAJ consiste à promouvoir, développer, organiser et financer ces rencontres franco-allemandes. Les jeunes, élèves, ouvriers, étudiants sont à la fois encadrés durant ces échanges et voyages par des accompagnateurs et des formateurs. Parallèlement à l’organisation des échanges entre jeunes Français et Allemands, une équipe de chercheurs s’est créée autour d’un projet d’observation, d’analyse et de recherche consacré à ces échanges franco-allemands entre jeunes. L’équipe interdisciplinaire de chercheurs, bi- puis multiculturelle a engagé une démarche de recherche visant à analyser et observer comment de jeunes Allemands et Français vivaient ces rencontres et développaient des compétences interculturelles. Ces analyses se sont également peu à peu déplacées vers les accompagnateurs, enseignants puis vers les chercheurs eux-mêmes dans une démarche réflexive. C’est ainsi que s’est développée à l’OFAJ la recherche-action consacrée à l’apprentissage expérientiel en stage résidentiel.

Les stages résidentiels se déroulent de la manière suivante : A l’occasion d’échanges, de séjours ou de rencontres, des jeunes d’origines très diverses participent à des activités linguistiques, sportives, artistiques, ludiques ou autres en groupes bi- ou pluriculturels qui peuvent donner matière à différentes formes d’apprentissage. Les chercheurs présents réalisent des observations-participantes qui leur permettent d’analyser et de comprendre les dimensions interculturelles révélées par les différentes activités des participants. 

Dans le cadre de recherche-action, les groupes de participants peuvent intégrer à la fois des jeunes, lycéens, étudiants, des professionnels et cadres d’entreprises de plusieurs pays. Les personnes présentes savent qu’elles participent à un cycle de plusieurs rencontres dans lesquelles interviennent des chercheurs, eux-mêmes parties prenantes des activités réalisées par les participants en situation de stage résidentiel. Ainsi les chercheurs, tout comme les participants, sont engagés dans différentes activités qui impliquent des apprentissages et une réflexion sur ces apprentissages par une démarche réflexive de la part des participants et par une observation participante des chercheurs. 

Dans le cadre de la recherche-action, les stages résidentiels et l’apprentissage expérientiel répondent aux critères suivants : Les stages s’inscrivent, si possible, dans la durée d’un cycle de plusieurs rencontres sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Les participants doivent être d’origines les plus diverses possibles en termes de genre, d’âges, de professions, de langues et de cultures. Ils doivent pouvoir s’investir dans des activités impliquantes, en choisissant de parler leur langue maternelle s’ils le souhaitent. Les activités sont organisées de telle manière que les monolingues ne doivent pas être exclus. Au contraire, l’utilisation de plusieurs langues et la médiation entre monolingues et bilingues ont vocation à révéler différentes formes d’interculturel. Les conflits, s’ils apparaissent ne doivent pas être évités mais encadrés, réfléchis et analysés. Ceci est rendu possible par la présence de psychologues, de psychosociologues et de pédagogues. Les conflits ouverts sont souvent vécus, observés et analysés comme catalyseurs et vecteurs de différences culturelles. 

2.2 La dynamique interculturelle 

Jacques Demorgon a participé pendant plus de 30 ans comme animateur de rencontres franco- allemandes, formateur de formateurs à l’interculturel, comme observateur-participant et comme chercheur à différents cycles d’action-recherche consacrés à l’apprentissage expérientiel en stage résidentiel. Ces cycles ont été pendant des années franco-allemands comme par exemple le cycle intitulé « Les compétences interculturelles nécessaires en contexte de management international et pluriculturel » 1993-1996 (Demorgon, Merkens et al. 2004) avant de devenir tri- et pluriculturels, comme par exemple le cycle franco-germano- italien « Nous, les autres et les autres : Apprentissage interculturel et multiculturalité » 1996- 2000 (Carpentier et Demorgon 2007). 

Il serait ici impossible de détailler l’ensemble des travaux que Jacques Demorgon a réalisés à l’occasion de ces cycles de recherche-action. Il reprend dans ses livres « L’exploration interculturelle » (1989), puis « Complexité des cultures et de l’intercultures. Contre les pensées uniques » ([1996] 2004, 2010, 2015) puis résume dans les premiers chapitres de « L’histoire interculturelle des sociétés » ([1998] 2002) comment il a vécu, observé et analysé, en stage résidentiel, les «rencontres internationales expérientielles » comme un « terrain d’expériences et de recherches ». J. Demorgon explique comment il a, en compagnie d’autres chercheurs de diverses disciplines, exploré les activités des participants franco-allemands de leurs enseignants ou de responsables d’institutions et d’entreprises. Il décrit comment se sont déroulés de véritables apprentissages interculturels mettant « l’affectif et le cognitif à l’épreuve » (Demorgon [1998]2002). Il explique comment les acteurs en situation expérimentale dépassent les « approches idéalistes ou diplomatiques», réveillent des conflits intra- et interculturels, présents ou passés, confrontés aux histoires des pays. Il analyse en profondeur dans quelle mesure les chocs des identités sont liées à la prégnance d’un paradigme de l’identitaire qui sépare et divise l’identité de l’altérité. Il précise comment les participants à l’aide d’une analyse réflexive, de méta-communication et de méta-cognition, vivent et dépassent la « culture affective de la conflictualité synergique » ([1998] 2002:5) qu’ils créent eux-mêmes dans le cadre du stage résidentiel. Il préconise deux nouvelles approches de médiation linguistique et interculturelle par la fonction « méta » (Demorgon 1989), la création d’un espace tiers de l’ « inter » (Demorgon 2005 :41), et propose de quitter le paradigme « identitaire » pour s’aventurer vers un paradigme « antagoniste, non pas d’opposition mais de complémentarité ». Il suggère de développer des « stratégies adaptatives » afin de comprendre et de résoudre les problématiques culturelles et humaines. 

Dans le cadre de ses travaux, il traverse avec les participants différentes étapes, partant du (1) comparatif-descriptif franco-allemand. Il poursuit par une phase (2) compréhensive-explicative en s’appuyant sur une réflexion approfondie intégrant une recherche théorique avant d’entamer une démarche (3) dialogiqueimplicationnelle (Demorgon 2007, Carpentier et Demorgon 2009) synthèse du dialogue et de l’action impliquante de participants culturellement informés. 

Pendant plusieurs décennies, Demorgon observe non seulement les conflits identitaires, professionnels, intersectoriels, et interculturels qui peuvent conduire à l’apprentissage interculturel mais aussi, à l’inverse, le déni des cultures et de « l’inter ». Il se réjouit d’observer des « îlots de manifestation et de conscience du multiculturel » mais observe la résurgence de stratégies transculturelles «linguistique, technologique, professionnelle, écologique» annonçant la fin des différences culturelles, la fin des cultures par la convergence culturelle. 

Les nombreux travaux sur le terrain expérimental des stages résidentiels de l’action-recherche, ainsi qu’un travail théorique et interdisciplinaire très approfondi, ont conduit Jacques Demorgon à concevoir une épistémologie et une théorie, et à élaborer une pratique de l’apprentissage interculturel. Les propos suivants développent non seulement l’épistémologie et la théorie de l’apprentissage interculturel de Jacques Demorgon, mais ils reprennent également les pratiques pédagogiques de l’apprentissage expérientiel qui sont à l’origine des travaux théoriques de Jacques Demorgon (2002, 2004, 2005, 2010). A l’aide de notre modèle pédagogique, nous proposons à nouveau cette démarche inductive à nos étudiants qui, partant de leurs pratiques, doivent pouvoir découvrir et s’approprier les théories de l’interculturel par l’apprentissage expérientiel. 

Références bibliographiques

Références bibliographiques 

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Demorgon Jacques

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Une réponse

  1. Merci de votre précieux message. Si cet article vous a plu, je pense qu’un coup d’oeil sur le livre L’Homme antagoniste Paris Economica devrait vous intéresser.
    Bien cordialement à vous

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