a./ On avait, en Europe, après la Deuxième Guerre mondiale, un interculturel positif, celui de peuples « libérés » et de leurs jeunesses enthousiastes se rencontrant et construisant leur avenir européen.
b./ C’était sans compter sur la puissance des acteurs de l’économie engagés dans la poursuite de leur montée au pouvoir suprême. L’économique est pour eux le seul interculturel résolutoire supposé sortir toutes les cultures de leur folklore passé. Dès lors, les cultures ne constituent plus d’éventuels obstacles à l’entente des peuples.
c./ Contresens politique qui n’a cessé de se révéler comme tel.
d./ L’interculturel idéalisé et sa fortune médiatique comme panacée pour tout problème de culture joue dans le même sens. Sous ses belles apparences résolutoires, c’est toujours la montée de l’économique qui s’exprime.
e./ Latéralement, cependant, l’interculturel se voit dénoncé dans une véritable guerre des préfixes plus épuisante que féconde. Contre ceux qui jurent par l’inter, il y a ceux qui jurent par le multi jugé plus réaliste. En effet, celui-ci sorti de la ségrégation, installe la tolérance mais sans contraindre au contact.
f./ À l’opposé de cette querelle, il y a ceux qui jurent par le trans. Pour eux, à quoi bon les contacts de l’intersi chacun campe sur ses positions. Ils rêvent d’un transculturel opératoire qui conduit les échanges à des transformations culturelles créatrices.
g./ Les penseurs antillais de la créolisation ont compris la vanité de ces débats. En lieu et place d’un interculturel vague voire trompeur, ils proposent le « multi-transculturel ».
h./ C’est un progrès, puisqu’au lieu d’ériger tel préfixe en panacée exclusive, ils comprennent les fonctions sous-jacentes. Le multisauvegarde la possibilité de nécessaires séparations spatiales, temporelles, d’intérêt. Le trans, à l’opposé, sauvegarde la possibilité de rencontres et d’échanges positivement transformateurs, créateurs de cultures nouvelles.
i./ L’intern’est pas nommé parce que, comme fonction de contact, il est inévitablement sous-entendu. Il l’est par le multi quand ces contacts sont plutôt suspendus. Il l’est par le transquand ces contacts sont passagers ou approfondis.
j./ Pour J.D., mieux vaut nommer l’interculturel que de simplement le sous-entendre. La fonction de contact est au centre de l’expérience à partir de laquelle les acteurs humains libres peuvent choisir, selon les circonstances, les situations, les personnes et les choses, plus ou moins de séparation ou d’échange. C’est à chacun de réguler l’antagonisme adaptatif « ouverture, fermeture » à l’autre.
k./ En fonction de chaque situation singulière, les trois perspectives – séparation, la réunion, échange– ne sont pas vraiment dissociables en tout cas sur le long terme. Personne ne pourrait se passer toujours de l’une ou de l’autre ? De plus, elles permettent des compositions entre elles, souples, changeantes au cours des évolutions des personnes, des groupes, des sociétés.
l./ Des pédagogies complexes, variables, adaptées doivent en résulter à tous les niveaux. Ainsi, par exemple, la culture française se veut « égale » pour tous. Elle ne veut pas trop considérer le champ « multiculturel », toujours pensée comme ségrégatif. La culture allemande reconnaît plus volontiers l’existence de différences multiculturelles.
m./ Pourtant dans les deux cultures, cela ne suffit pas ! La culture française ne peut éliminer ni le « multiculturel » ni « l’interculturel » à partir de son « transculturel » républicain. Touraine l’a souligné.
n./ Aujourd’hui, le multiculturelplanétaire s’étale lié aux échanges internationaux : économiques, migratoires, touristiques. Il met en question, à l’intérieur même de l’hexagone, la crédibilité du trans culturalisme à la française que Todd a cependant lui aussi souligné comme exceptionnel. En effet, il le fut un temps.
o./ De son côté, la culture allemande ne peut faire l’économie avec son multiculturel tolérant des nécessités du trans et de l’inter culturel.
p./ Dans un retournement brusque, Angela Merkel, en octobre 2010 déclare au Spiegel « Der Ansatz für Multikulti ist gescheitert, absolut gescheitert !En quelque sorte : « Le MultiKulti c’est fini ! ». C’est ainsi qu’un enthousiasme inconscient de ses limites se change en condamnation avec la même inconscience.
q./ Un problème de taille subsiste. Les penseurs antillais s’attaquent judicieusement aux incompétences de globalisation et d’articulation de l’interculturel.Mais il semble bien ne pas se défier de sa première incompétence : l’idéalisation.
r./ Si le « multi, trans, inter » est pensé comme la panacée, il a beau être articulé, il n’en reste pas moins dans l’optique de l’illusion idéaliste.
s./ Il ne suffit pas de définir un « multi » de tolérance pour l’empêcher de retomber dans la ségrégation voire l’apartheid.
t./ De même ceux qui ne jurent que par le « trans » pour des transformations culturelles créatrices ne peuvent ignorées que ces unions obtenues par-delà le « multi » de départ ont aussi très souvent constitué un nouvel ensemble mais monté contre d’autres. L’union fait la force mais l’articulation réussie s’arrête pour presque toujours désigner de nouveaux s exclus. Même si, parfois, elle reprend plus tard.
u./ On le voit clairement les incompétences d’idéalisation et d’évolution historique poursuivie menacent encore y compris quand il y a déjà globalisation articulée du « multi, trans, inter » ! Mieux vaut le savoir.
v./ Sans que ce soit une consolation, on a tout lieu de penser que l’univers biologique a certainement mis bien du temps avant de produire ces délicates articulations : pieds et genoux, bassin et hanches, épaules et cou, poignets et mains.