de Jacques Demorgon INÉDIT
1./ Religion, politique en Mésopotamie : associations, différenciations, primats
a./ Les vallées du Tigre et de l’Euphrate, très marécageuses, requièrent un dynamisme collectif pour être traitées et mises en valeur. Non sans difficultés et déjà d’origine naturelle comme le déluge. Celui-ci marque tellement l’histoire de Sumer qu’il la structure. La liste de ses rois est divisée en deux, avant et après le déluge.
b./ Les catastrophes d’origine humaine : rivalités internes exacerbées, envahisseurs convoitant une terre que fertilisent les alluvions des fleuves sont clairement prises en compte. Nombre d’avancées de civilisation – Cité-Etat et son urbanisme, la métallurgie, le commerce organisé, l’écriture – sont inventées en Mésopotamie mais ailleurs aussi. Lors de cette naissance des cités-Etats puis des royaumes, nous sommes en 3500 AEC.
c./ La situation du politique et du religieux a beaucoup évolué. La civilisation sumérienne connait d’abord une théocratie pure : tous étaient voués au service des dieux. Rappelons la ziggourat, sorte d’arche d’alliance entre terre et ciel. Avec ses sept étages, elle symbolise la montagne au sommet de laquelle habitent les dieux. A son sommet, chaque ziggourat, comporte un piédestal pour communiquer avec le ciel. On connaît la plus célèbre, sise à Babylone : la Tour de Babel.
d./ Dans le panthéon « sumérien, akkadien », en dessous de An, le père des dieux, la royauté relevait d’Enlil, dieu du Ciel et de la Terre. Dans une belle légende sumérienne « En », à l’origine, est entouré d’une cour de nombreuses divinités secondes. Comme il en vient sans cesse des nouvelles, elles s’accumulent entre les humains et l’En. Celui-ci se trouve de plus en plus éloigné, devient inaccessible et disparaît presque. Bel exemple d’une dynamique en tension déjà entre polythéisme et monothéisme.
e./ La Cité-Etat était considérée comme propriété de son dieu local qui, lui, était représenté par le chef de son clergé. On nommait ce chef « lu gal », « l’homme grand ». On avait aussi les titres ensi ou patesi (vicaire) en un sens peut-être déjà plus politique. Par exemple, à Lagash, des patesi sont aux prises avec une opposition sacerdotale. A Oumma, les habitants se soulèvent avec leur ensi qui devient roi d’Ourouk (2370 AEC) et détruit la Cité-Etat de Lagash.
f./ Bertrand Lafont (2017) a suivi l’évolution des titres royaux sur plusieurs siècles. « Les composantes religieuses et séculières contenues dans l’institution originelle du « En » se sont séparées en deux fonctions différentes. L’une, purement sacerdotale, garde En ; l’autre politico-militaire use des termes Ensil ou Lugal qui deviennent les titres royaux les plus fréquents. Ainsi, à la longue, l’« En » archaïque, d’abord indifférencié, perd ses attributions politico-militaires et ne garde plus que ses attributions religieuses.
g./ Pendant tout un temps, la religion a peut-être été la dimension décisive irréductible du pouvoir. Une évolution semble progressivement la réduire au bénéfice de la dimension plus politique. Toutefois, cela n’exclut pas des retours d’un religieux prenant aussi le politique en charge.
h./ Ces phénomènes semblent bien conserver une importante fluctuation en Mésopotamie mais aussi en Egypte. La dimension religieuse est à coup sûr d’abord dominante tant que le souci principal est, pour une société, celui de voir l’ordre stable de son environnement naturel garanti par les dieux. Que l’on pense au déluge !
i./ Par contre, dès que ce qui l’emporte c’est la menace d’ennemis aux frontières, les deux dimensions du religieux et du politique se différencient. Ce n’est pas pour autant que leur joute ne continue pas.
2./ Langue de la domination politique nouvelle et langue d’avant réservée au religieux
a./ Quand elles surviendront, les invasions tribales seront l’occasion d’une première différenciation entre les écritures. Ainsi, les Sumériens vaincus se voient imposer, la langue des vainqueurs dans leur vie quotidienne. Toutefois, ceux-ci ont d’abord dû la traduire en pictogrammes.
b./ Privée de son emploi profane, la langue sumérienne ne disparaît pas pour autant. Au contraire, elle reste la langue de la religion et relativement aussi celle du savoir. Cela jusqu’au début de l’ère chrétienne. Bien plus tard, en Europe, on verra la même chose avec le latin.