Word World (par Jacques Demorgon)

La prospective historique fondée, La Révolution prolétarienne, n° 802, sept. 2018.

1./ L’histoire et les conditions de sa prospective

Nos précédentes études : « L’histoire science du destin des humains » (La Révolution Prolétarienne 799, 12-2017) et « Penser l’histoire antagoniste » (La RP 800, 03-2018) mettent en évidence l’histoire globale. 

Elle l’est car elle a franchi ses limites habituelles antérieures. D’une part, dans l’espace en devenant planétaire et non plus comme auparavant prioritairement européenne. D’autre part, dans le temps, devenant plurimillénaire. Toutefois, nous sommes là dans une extension des données historiques. Certes, elle est une condition nécessaire mais pas suffisante de la construction de ces données. 

Il est vrai, un tel ensemble était indispensable. Il favorisait la découverte de faits généraux se répétant à travers leurs variations dans l’espace-temps planétaire. 

Un tel progrès, inimaginable avant le 20e siècle, réunit les conditions pour faire un pas supplémentaire qui consiste à passer de la rétrospective étendue à une prospective également approfondie, c’est-à-dire justement « donnée, construite » selon des fonctionnalités multiples dont nous allons préciser les principales.

2./ Le « donné, construit » général de l’histoire

Six fondements sont à prendre en compte pour que la rétrospective historique « donnée, construite », de façon étendue et profonde, puisse conduire à la prospective fondée. 

Poser le « donné, construit », c’est tenir compte d’une double exigence. Les faits traités doivent s’être effectivement produits dans l’histoire vécue. Cependant, ils n’en doivent pas moins être traités par une construction qui distingue les faits comme pouvant avoir les trois propriétés d’être particuliers, singuliers, généraux. 

Nous avons souvent l’impression que l’histoire rétrospective nous met simplement devant des faits bruts. Nous pouvons les approuver, nous en réjouir ou les déplorer. Mais nous ne voyons pas comment nous pourrions en tirer la moindre conséquence pour notre expérience à venir. Ces faits ont été ainsi une fois et ne le seront plus. 

C’est là une grave simplification. Pour éclairer leurs expériences, les humains ne peuvent articuler les faits que s’ils les réfèrent à ces trois modalités d’appréhension du réel : particulariser, généraliser, singulariser (Demorgon, 2015 : 41-92). 

On comprend que quantité de faits particuliers, innombrables, peuvent ne plus se représenter à l’avenir. De même, des faits singuliers, fruits d’une synthèse exceptionnelle ou d’un simple croisement par hasard, ne se reproduiront plus ainsi. 

Cela n’empêche pas qu’il faut comprendre aussi qu’il y a des faits ou des aspects des faits qui reviennent, se répètent dans divers lieux et divers temps. C’est la fonction cognitive de généralisation qui se charge de les découvrir. Les humains la mettent en œuvre à partir de leurs possibilités perceptives, mémorielles, conceptuelles, pratiques et théoriques. C’est une fonction indispensable à la genèse du « donné, construit » de la connaissance. 

Toutefois, cela ne signifie pas que les généralisations sont toujours bonnes. Elles peuvent l’être, mais aussi abusives et même fausses. Certains, de ce fait, condamnent à tort toute généralisation. Ils ne se rendent pas compte que, sans elle, nous ne pourrions ni penser, ni parler. Elle est partout et constamment à l’œuvre, en dynamique avec le particulier, le singulier.

Prenons une pratique religieuse comme la sépulture. Il y a plusieurs sépultures spécifiques particulières mais l’existence d’une procédure sacralisée lors de la mort d’une personne est une donnée générale de la conduite humaine. Il y a plusieurs sortes de religions bien différentes. Pourtant, elles ont ensemble des caractéristiques communes qui permettent de poser une grande activité générale partagée par tous les humains. : « la » religion. Dans certaines langues, on pourra même dire « le religieux » créant ainsi un niveau de généralité encore plus englobant. 

3./ Trois figures historiques de l’humain en acte et en pensée

Cette fonction de généralisation, une fois comprise, doit être utilisée avec des précautions continuelles qui doivent être maintenues et soutenues grâce à la fonction annexe de « vérification, falsification ». Celle-ci opère par de constants allers retours entre ce qui paraît donné (et qui est déjà aussi construit) et ce que l’on est en train de construire (ce qui découvre un donné souvent ignoré jusque là. Telle est la rationalité dynamique du « donné, construit ». Ce sont là les bases exigeantes à partir desquelles il devient possible de mieux penser ensemble les acteurs et les évènements historiques dans leur « unité, diversité » multifonctionnelle. C’est cela qui permet ensuite de découvrir les liens entre les multiples évolutions significatives particulières, singulières et générales.  C’est ainsi que nos travaux antérieurs, à partir de ceux de nombreux historiens, ont pu montrer que l’histoire en acte et en représentation se constituait à travers des genèses antagonistes et longues. Celles-ci mettaient en œuvre puis découvraient progressivement trois grandes figures de l’humain (Demorgon, 2002). Donnons deux exemples célèbres. 

Dès le 14e siècle, Ibn Khaldûn prend conscience d’un fonctionnement général dans l’histoire de l’Islam. Chaque empire advenu l’a été dans la mesure où des tribus l’ont fondé en renversant l’empire précédent. L’énergie tribale victorieuse doit cependant composer avec les structures de l’empire vaincu pour fonder l’empire nouveau. C’est là une première généralisation qu’il applique en un lieu et en un temps de la planète. Or, il se trouve que, dans les millénaires précédents, le même processus a eu lieu en Chine. On est donc en présence d’une généralisation compréhensive de première importance, celle des formes de société différentes mais complémentaires en l’occurrence les tribus et les empires quel que soit le continent sur lequel leur conflit « destructeur, constructeur » a lieu. 

Second exemple. Georges Dumézil (2011), dans un exceptionnelle analyse des sociétés indo-européennes, de leurs épopées et de leurs panthéons, met en évidence trois grandes activités qui se sont progressivement séparées, distinguées et sont entrées en dynamiques rivales mais complémentaires : le religieux, le politique (administratif et militaire), l’économique (artisans et marchands). Ainsi, pour ne parler que de Rome et de son Panthéon, on aura Jupiter et Mars bien connus. Comme l’économique dans les empires est étroitement subordonné, le dieu qui le représente, Quirinus, est très loin d’être aussi connu que les deux premiers. 

Les trois figures de l’humain commencent à se découvrir et aussi leurs genèses. Les formes de société sont produites par les acteurs humains à travers les dynamiques des grandes activités – religion, politique, économie et, plus tard, information. Et ces grandes activités sont produites par la nécessité où se trouvent tous les humains de réguler leurs multiples conduites en fonction des contextes rencontrés. Cette régulation qui est revenue au premier plan de la pensée humaine en Europe, à partir de Hegel, a ses titres d’ancienneté ». Citons seulement Héraclite en Grèce et le classique des changements en Chine ainsi que le Zhong Yong ( Jullien, Khong, 1993).  

Nous voyons donc clairement déjà les deux premières exigences pour la possibilité d’une rétrospective fondée. Ce sont la globalisation et l’histoire comme planétaires et millénaires et le « donné, construit » étendu et approfondi, vérifié, falsifié des trois grandes figures de l’humain (Demorgon, 2012 : 13-22). C’est un commencement indispensable mais insuffisant. Voyons les quatre exigences supplémentaires qui commencent seulement à être comprises et qui devraient occuper le destinal de l’humanité qui vient.

4./ La « libre » implication humaine prive la prospective de toute prophétie

Les deux fondements précédents peuvent comporter le risque de traiter l’histoire rétrospective de façon strictement déterministe. Or, cela doit être absolument évité de deux points de vue. Le premier, extérieur aux humains, dépend de tout ce qui peut leur arriver à partir de la planète qu’ils habitent et du cosmos dans lequel elle se trouve. 

Le second résulte de ce que les devenirs historiques et l’avenir humain dépendent aussi des acteurs humains eux-mêmes. Leurs conduites individuelles et collectives ont été et sont « librement » organisées en activités et en sociétés qui évoluent. 

Or, aucun humain, aucun savant n’est en mesure de pouvoir tenir compte de toutes les conduites que continuent constamment à produire tous les humains. Cette implication dans laquelle ils se trouvent – qu’elle soit bien ou mal informée, bien ou mal inspirée – peut changer à tout moment le cours des choses. 

Ajoutons que des rétrospectives naïvement déterministes conduiraient à des prospectives à prétention prophétique auxquelles il faut renoncer. 

En effet, la prétention prophétique ne doit pas prendre la place du 3e fondement de la prospective qui vient : l’implication humaine aussi soutenue que possible. Il convient de préciser que si la troisième exigence d’une prospective fondée est le renoncement à la prophétie et la découverte de la permanence d’une libre implication humaine, la liberté humaine n’est en aucun cas une faculté acquise. Elle est elle-même un « donné, construit » destinal qui dépend de la totalité de l’expérience humaine collective et individuelle, passée, en cours et à venir. Cette précision concernant l’implication constitue la 5e exigence d’une prospective fondée présentée ci-après.

5./ Acteurs humains « situés » dans l’évolution

La 4e nécessité pour parvenir à une histoire prospective fondée doit faire face à une question singulièrement difficile. Une telle prospective peut-elle se passer de références étendues et approfondies à l’histoire du monde vivant en tant qu’il a précédé l’apparition de l’homme ? 

Il ne suffit pas de répondre « non ! ». Les exigences que cela représente en termes de connaissances comprises et intégrées sont considérables. Toutefois, une première observation mérite d’être faite. 

Il convient de reconnaître que les trois premiers fondements que nous venons de présenter – histoire planétaire millénaire, donnée-construite, non prophétique – auraient été, eux aussi, au 19e siècle, considérées comme constituant des exigences irrecevables. En un siècle, elles ont cessé de l’être. 

En seconde observation reconnaissons cependant le maintien de la difficulté. Non sur le seul plan quantitatif des connaissances manquantes, même s’il existe.  Plutôt sur celui qualitatif d’une interrogation destinale qui garde son mystère. Et dont, pour cette raison, les acteurs humains se détournent souvent dans leur vie quotidienne absorbante. Quand ils ne le font pas définitivement, croyant avoir résolu la question du sens de la vie humaine par la réponse qu’ils y donnent et qu’ils trouvent judicieuse en ce qui les concerne en tout cas ! Cela n’empêche pas non plus la question de perdurer. Elle reste toujours présente, d’une façon ou d’une autre, dans la perception, l’affectivité et la réflexion humaines ?

Selon les périodes de l’histoire et le développement des connaissances, la relation de l’humain au monde de la Vie et au Cosmos a même pu susciter nombre de grands débats polémiques collectifs. En effet, les réponses apportées n’ont pas manqué et se sont fréquemment opposées. 

Et cela, d’ailleurs, en opposant même de grandes activités humaines, comme la religion et la science. L’épisode à coup sûr le plus marquant, pas si lointain, porte le nom de Charles Darwin (1859). Il se trouve dans un livre dont le titre abrégé est aujourd’hui communément : « L’origine des espèces ». En établissant une relation effective entre le singe et l’homme, l’œuvre de Darwin a déclenché des prises de positions inverses pas encore épuisées.

Une histoire rétrospective globale, mieux « donnée, construite » et sa prospective fondée ne peuvent pas consister en des compilations de faits et d’événements qui se prétendraient scientifiques  précisément par ce qu’ils font abstraction de la question destinale de l’humain. 

Cela au nom d’une science périmée à l’objectivisme étriqué qui se refuse à reconnaître que des questions sans solutions strictes n’en font pas moins partie du réel. Et même que, surtout comme telles, elles peuvent avoir des conséquences étendues et profondes tout au long de l’histoire poursuivie des humains.

La 4e exigence, requiert que la globalisation planétaire et millénaire de l’histoire humaine soit désormais comprise comme insuffisante. L’extension et l’approfondissement de la rétrospective de l’histoire globale humaine à l’histoire de la vie et à celle du cosmos, restent indispensables à toute future prospective fondée

L’être humain ne peut pas se définir à partir de la durée des vies individuelles. Et même pas non plus par le temps, déjà autrement plus long, écoulé depuis son advenue. Il fait partie d’un monde du vivant qui, en évolution créatrice, est à son origine. 

6./ Acteurs humains se situant dans l’évolution créatrice

Que cette donnée soit privée d’un sens imposé ou même proposé, cela reste partie prenante d’un sens à poser en appel à la donnée constitutive non d’une nature de l’humain, mais de sa condition de néotène (Demorgon, 2016 : 201-297)

Il advient dans l’univers, il y vit, y existe peu programmé par la nature et devant se programmer en fonction d’un environnement planétaire et cosmique ouvert. Dans ces conditions, comment pourrait-il continuer à se poser si peu la question du sens de son advenue et de son advenir ? 

Complétons ces données anthropologiques par au moins trois sortes de références historiques qui viennent rendre plus vives et pressantes les 3e et 4e exigences fondatrices. 

En premier lieu, l’humanité commence à comprendre qu’elle doit faire face à ses responsabilités d’ordre écologique. C’est loin d’être acquis. Il est vrai, le mot « écologie » qu’invente Haeckel, biologiste allemand, favorable à Darwin, ne date que de 1866.  C’est depuis moins longtemps que les humains ne peuvent plus ignorer à quel point ils dépendent du monde du vivant et des catastrophes qu’ils risquent en ne respectant pas ses équilibres. 

En second lieu, le deuxième appui résulte d’une révélation tout autant sinon plus bouleversante. La course aux armements, consécutive à la rivalité Est/Ouest, est parvenue à un point tel qu’une apocalypse atomique fait désormais partie des possibilités de l’avenir humain. 

En troisième lieu, troisième appui est plus positif. La rivalité Est/Ouest a heureusement permis l’aventure spatiale. Conjuguée aux problèmes écologiques, elle souligne une problématique très réelle, connue et pourtant laissée sans responsabilité suffisante. Nombre de données dangereuses peuvent provenir du Cosmos. 

Même s’ils disposent, aujourd’hui, de certaines parades, les humains ne se préoccupent pas de la réponse technique, possible, mais qu’il conviendrait d’élaborer. Toute cette réflexion argumentée devrait permettre de comprendre qu’une histoire humaine scientifique, fondée, est désormais dans l’obligation de se penser destinale, comme bien entendu la prospective qui peut la prolonger.

Or, ce destinal de l’humain ne peut se contenter d’une histoire qui s’autoriserait à ne pas tenir compte de l’histoire qui la précède, celles de la Vie et du Cosmos. 

Le mystère, certes, ne disparaîtra pas. Sans doute, heureusement. Par contre, l’intuition humaine peut s’y retrouver, au point de changer telle ou telle de ses orientations qui, aujourd’hui, reposent largement sur ce qu’il faudrait vraiment nommer la culture de l’autruche.

7./ L’exigence de partage d’une implication croissante dans l’histoire éprouvée 

Le 3e fondement a posé la nécessité de l’implication des humains dans l’histoire locale et globale, vécue, éprouvée, inventée. Le 5e fondement pose que cette implication ne peut pas être du seul ressort d’une élite. Cela ne rend pas impossible la prospective, cela lui confère un statut diminué. Son statut n’est pas diminué par une incapacité à penser ce qui peut advenir. Il l’est par la pauvreté déjà « donnée, construite » de cet advenir réduit imposé par l’élite dominante. L’histoire élitiste dominante, qu’elle soit religieuse, politique, économique  entrave le développement d’une humanité pleinement créative pour laquelle une prospective fondée pourrait être mise en œuvre. Pour le moment elle reste barrée par le lourd déficit de cette implication. 

Elle n’est pas un projet partagé à partir des vécus antagonistes si la plus grande part des humains ne sont pas en mesure d’accéder aux enjeux. La prospective ne porte alors que sur des pronostics concernant les pertes et les gains de l’élite qui domine une histoire destinale réduite. Elleest prévisible. Comme nous l’avons montré à travers l’histoire de l’Europe du 11e au 21ev siècle (Demorgon la RP 799 et 800). Une prospective fondée est inséparable d’une histoire elle-même fondée dans laquelle les humains sont en en large part en échange antagoniste « inégalitaire, égalitaire » et non en échange biaisé monstrueusement inégalitaire`

De même que la prospective historique destinale fondée était incompatible avec la prophétie, elle l’est avec l’élitisme. L’élite, coupée de l’ensemble des autres humains, quelles que soient ses intentions, ne produit aucune histoire et aucune prospective fondées. Elle maintient une sorte de préhistoire. Le néolithique n’est pas achevé.

La question n’est pas strictement celle d’une opposition entre les humains ; ou du moins pas au sens où on l’emploie d’habitude. Ce qui condamne l’élitisme du point de vue de la connaissance fondée anthropologique ou historique et rétrospective ou prospective, c’est qu’en éliminant une immense part de l’humanité de sa participation à tout l’horizon de l’action et de la pensée, il élimine tout ce qui pourrait en résulter de connaissances et d’inventions. Il en va de la condition humaine que la qualité et la quantité de ce qu’elle produit est totalement liée à la qualité et la quantité des échanges qu’elle peut mettre en œuvre. 

L’élitisme, même bien intentionné et, a fortiori, l’élitisme de la domination devrait à l’avenir être compris par un plus grand nombre d’humains comme tout à fait contre-productif. Cela sur tous les plans : économique, écologique, éthique.  Voyons mieux cela àn travers le sixième fondement, celui de l’antagonisme compris comme irréductible et ensembliste

7./L’humanité en devenir « antagoniste ensembliste »

Pour avancer vraiment dans cette implication il faut en inventer le partage autrement qu’à travers nos régimes démocratiques. Ils ont fait la preuve que le pas franchi d’ethnos à demos est très insuffisant. Il reste impossible de passer du peuple local, national ou impérial, au peuple simplement humain. Comme le montre aujourd’hui, de façon criante les tragédies migratoires. Les humains inscrits dans des nations territorialisées ne parviennent pas à reconnaître comme humains à secourir les plus nus d’entre eux au bord même de la mort. Ces humains désinscrits sociétaux sont renvoyés au néant de leur sursaut de liberté, personnelle. Il doit être compris qu’il n’y a pas d’humain qui puisse se reconnaître  humain tout seul. Le droit de l’homme de chacun est au bon plaisir des autres. 

Qui peine à comprendre que la colonisation puis la décolonisation n’ayant cessé de prétendre qu’elles avaient comme souci, l’aide au développement, ces migrations de misère économique et politique ne devraient pas être d’actualité. On sait maintenant que tout cela n’avait qu’une bien faible part de vérité

On a compris que le seul mode d’évolution avec sa progression minimale, c’était désormais le brillant tour de passe-passe de la globalisation économique. On affaiblit les classes mal subordonnées des pays développés en traitant une part du travail productif à meilleur prix dans les pays sous-développés. 

Double gain. Certes les salaires augmentent dans les pays moins développés mais les revenus diminuent dans les pays développés. Il y a une visée égalisatrice par le bas. En conséquence, au total, une montée vertigineuse des inégalités. 

Ce n’est en aucun cas une question seulement  morale, c’est une question prioritairement économique. Quand la moitié de l’humanité se trouve de facto mise dans l’impossibilité d’user de ses moyens largement à l’œuvre ailleurs, c’est l’inventivité et la productivité globale des humains qui est diminuée. 

La question écologique qui réclame justement de l’inventivité nouvelle, stagne. Les procédures nouvelles et leurs ressources pourraient être autrement plus nombreuses et fécondes avec une part augmentée et non diminuée d’humains actifs découvreurs et inventeurs. 

Ce survol d’une humanité antagoniste n’est pas là pour prouver ce que chacun sait. Il est là pour accepter d’abord ce que l’on prend pour le mal tout en le tolérant constamment :l ’antagonisme entre humains. L’histoire globale, en particulier telle que la traite David Cosandey (2007) a clairement montré que, tout au long de l’histoire, certaines auto-organisations sociétales rivales y compris guerrières avaient en raison d’une modération produite, volens nolens, été à l’origine de productions scientifiques et techniques d’abord secrètes et réservées (pour l’emporter) mais  que l’humanité ensuite se partage. ce qui se fait ainsi plus ou moins inconsciemment pourrait à l’avenir se faire plus consciemment. (Demorgon, 2018).

Ce sera long car il faudra comprendre que l’antagonisme entre humains n’est ni d’avance le mal ou le bien. Il est là d’abord et doit être traité. Soit de manière grossière, soit de manière raffinée. L’une et l’autre manière ne sont pas si difficiles à juger. 

Simplement, chacun étant juge et partie, la question de savoir sur quelles bases il juge est incontournable. C’est ici qu’il se confirme que l’élitisme est aussi une nécessité ; Sauf que les élitismes aussi sont, eux aussi, grossiers ou raffinés. Il y a même un critère de l’élitisme raffiné. Il finit pas comprendre souvent un peu tard que son isolement est en fait l’isolement qu’il produit de l’humanité avec elle-même.

Nus avons montré en lui consacrant tout un livre que l’antagonisme, multiplement destructeur et constructeur, était partie prenante de tous les domaines d’activité des humains. Comme il l’est de tous les domaines de la vie et du cosmos Celui-ci et Celle-ci montrent leurs extraordinaires réalisations. Or, les humains en descendent. S’ils ne les respectent pas c’est qu’ils ne respectent pas leurs ancêtres. S’ils les respectent il faudrait sans doute qu’ils leur fassent honneur en leur montrant comment portés par eux, ils participent à des réalisations nouvelles. Ils y parviendront seulement en apprivoisant l’antagonisme ensembliste. Ou le terme « ensembliste » n’évoque pas les pauvres moutons mais l’éprouvante complémentarité articulée des opposés.

*

Bibliographie

Darwin Ch. 2008. L’origine des espèces. Flammarion.

Demorgon J. 2016. L’homme antagoniste. Economica. En 2017 : Omul antagonist. Ed. Fundatiei România de Mâine.

Demorgon J. 2015. Complexité des cultures et de l’interculturel. Contre les pensées uniques, 5e éd. Economica.

Demorgon J. 2012. « Critique de la raison interculturelle. Trois grandes figures antagonistes de l’humain en genèse », La Francopolyphonie, n° 7/1, Chisinau : Ulim. 

Demorgon J. 2010. Déjouer l’inhumain, Avec Edgar Morin, Préf. de J. Cortès. Economica.

Demorgon J. 2002. L’histoire interculturelle des sociétés, 2e éd. Economica.

Dumézil G. 2011. Mythes et dieux des Indo-européens, Flammarion.

Ibn Khaldûn, 2002, 2012. Le livre des exemples, 2 T. Gallimard.  

Jullien F. Kong J. 1993. Zhong Yong.  Imprimerie nationale

*

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *