Word World (par Jacques Demorgon)

cf. aussi L’homme antagoniste. Omul antagonist : Traducere din limba franceză de Victor Untilă. 1ère partie. L’histoire: massacres et miracles.

et Repenser l’histoire. Retrouver l’avenir. Acteurs, fonctionnements, événements

Plan suivi du texte complet

I./ Les acteurs humains et non-humains

1./ La préhistoire paléolithique et néolithique pour les humains 

2./ Dimensions du pouvoir : direction, puissance, autorité  (Baechler)

3./ Formes politiques premières, hiérarchies sociétales (Testart)

4./ Nomades et sédentaires

II./ Les fonctionnements : trois figures de l’humain

5./ La régulation antagoniste des « actions, passions » 

6./ La régulation antagoniste des « activités, passivités » : Religions, politiques, économies, informations.

7./ La régulation antagoniste des formes de société selon leurs prégnances et leurs articulations

III./ Les événements

8./ La réintroduction du cosmique, du vital et de la genèse biologique des humains

9./ Les genèses et les dynamiques des activités : les cinq « périodes » des sociétés

10./ Écologie, catastrophisme éclairé, conquête spatiale (Dupuy. Cosandey, Van Lier, Hawking) 

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Repenser l’histoire. Retrouver l’avenir. Acteurs, fonctionnements, événements

I./ Les acteurs humains et non-humains

1./ La préhistoire paléolithique et néolithique pour les humains 

Il s’agit là d’une longue période de découverte originelle du monde et de ses effets. Il y a chez les humains une grande incertitude quant aux agents visibles ou invisibles qui produisent les événements : êtres inanimés, paysages de montagne et de cours d’eaux, plantes et animaux, ancêtres morts, esprits et dieux. Des modes divers de communication avec eux sont inventés. Des intermédiaires « qualifiés » peuvent être nécessaires comme les shamans. Par ailleurs, les acteurs humains évoluent dans leurs pratiques : prédation, cueillette, stockage, agriculture locale et ponctuelle. L’intensification de la production agropastorale néolithique entraîne l’apparition de la richesse et celle-ci, la hiérarchie sociale. 

2./ Dimensions du pouvoir : direction, puissance, autorité  (Baechler)

La direction peut se définir comme la capacité à décider de l’action en connaissance de cause. Connaissance et décision peuvent relever d’experts ou bien elles sont produites dans un collectif d’échanges. La puissance résulte de la capacité à exercer telle ou telle force. L’autorité en principe s’impose en tant que telle dans la mesure où elle relève de la perception des caractéristiques exceptionnelles d’un être. On évoque à son propos charisme voire sacralité. 

Chaque dimension constitue un apport spécifique au pouvoir. Ainsi, la puissance est dite brute quand l’autorité lui manque, aveugle quand la direction lui manque. De même, la puissance peut manquer à la direction. Ou encore l’autorité être bafouée par ceux qui veulent exercer leur puissance. 

3./ Formes politiques premières, hiérarchies sociétales (Testart)

Les démocraties primitives sont des organisations tribales basées sur des tentatives d’articuler au mieux les ressources de tous au travers d’une hiérarchie de conseils qui se réunissent selon les besoins et les décisions à prendre.

Les ploutocraties ostentatoires sont des sociétés où une famille s’est davantage enrichie et tire son prestige et son pouvoir du fait qu’elle peut mettre en œuvre des redistributions aux autres de ses biens. L’ostentation s’exprime à travers de grandes fêtes de consommation ou encore au travers de tombes familiales remarquables comme dans certaines sociétés à mégalithes. 

Les chefferies. Un chef est clairement choisi, désigné : parfois pour un temps limité, par exemple une guerre ; parfois pour un temps plus durable. 

Les lignages. Un groupe familial se distingue en se présentant comme descendant d’un ancêtre qui a reçu des dieux des enseignements précieux pour la survie et l’organisation du groupe. Les autres lignages vont se soumettre à lui pour la mise en œuvre des initiations, des sacrifices et de l’organisation des activités dans l’espace et dans le temps. Celles-ci peuvent être religieuses, productives et guerrières. Ces lignages sont pré-royaux. 

4./ Nomades et sédentaires

Pendant plusieurs millénaires de l’histoire humaine, royaumes et empires à dominante sédentaire ont été régulièrement envahis par des peuples d’éleveurs nomades aux mœurs rudes mais disposant d’atouts spécifiques, par exemple de la domestication du cheval monté conjuguée à la maîtrise de l’arc. Plus que tout autre pays semble-t-il, la Chine a été dans ce cas d’où sa volonté de les arrêter en construisant au long des siècles les 2500 kms de la Grande Muraille visible de la lune. Les peuples nomades les plus connus sont les Huns, les Scythes, les Parthes, les Peuples de la Mer ; et plus tard, les peuples germaniques qui vont jusqu’au Maghreb, les Bédouins, les Vikings, les Mongols ; enfin, les Mandchous qui se sinisent, vont diriger la Chine jusqu’en 1912. 

Il conviendrait de comprendre que nomadisme et sédentarité relèvent à la fois de l’histoire et de l’anthropologie fondamentale. L’être humain ne peut exclure ni la stabilité, ni le mouvement comme le prouve les tragiques migrations d’aujourd’hui.

II./ Les fonctionnements : trois Figures de l’humain

5./ La régulation antagoniste des « actions, passions »

La régulation antagoniste des « actions, passions » résulte de leur très fréquente structuration sous forme de couples de directions opposées. Ainsi, « ouverture, fermeture au monde et aux autres » ; « stabilité, déplacement » (sédentaires et nomades) ; « se coucher, se redresser » ou « horizontalité, verticalité » ; « se séparer, se réunir » ou « diversité, unité » ; « accroissement, frein dans la reproduction de l’espèce ». 

Et bien d’autres : « individuel, collectif » ; « égoïsme, altruisme » ; « autorité, liberté dans l’éducation, dans les relations hiérarchiques» ; « égalité, inégalité dans la société ou dans la famille (héritage) ». 

L’adaptation pourra se faire en choisissant une orientation ou l’autre mais aussi en les associant selon des degrés différents. 

6./ La régulation antagoniste des « activités, passivités » : Religions, politiques, économies, informations.

La différenciation de trois (puis quatre) grandes activités se précise à travers leur mise en œuvre complémentaire ou concurrentielle. La politique – administrative, juridique, militaire- et la religion ritualiste ou mystique- se distinguent par leurs capacités rivales ou conjuguées à produire de l’unité dans les groupes humains. 

Le plus souvent, elles s’associent et contrôlent ainsi plus facilement les acteurs de l’économie qui peuvent apparaître comme des facteurs de division en raison de leurs intérêts différents. L’opposition des pasteurs et des agriculteurs fut symbolisée dans la Bible par la rivalité finalement meurtrière entre Abel et Caïn. Cette rivalité donne encore naissance à de grands récits littéraires au 19e et 20e siècle siècles en Amérique du Nord et du sud, singulièrement aux westerns. 

La différenciation et l’importance de l’information sont plus tardives. Elles se renforcent avec la maîtrise des techniques, l’invention conjointe de l’écriture, de la comptabilité, de la géométrie. Ensuite, celles du droit, des sciences, de l’astronomie, de la philosophie. Enfin de l’informatique, des médias et d’internet. Ce développement de l’information reste chaotique dans la mesure où les acteurs du politique, du religieux et de l’économique entendent se l’approprier et contrôler ses développements.

7./ La régulation antagoniste des formes de société selon leurs prégnances et leurs articulations

De nouvelles formes de sociétés se sont constituées. Nous ne devons pas les penser selon une évolution linéaire où la forme ancienne est annulée par la forme nouvelle qui arrive. Au contraire, les renouvellements se font dans la mesure où la forme ancienne résiste et la forme nouvelle se cherche en conséquence. Aucune des grandes formes sociétales engendrées dans l’histoire humaine ne disparaît. Soit, elle se maintient comme dominante dans tel ou tel pays ; soit, là où elle n’est plus dominante, elle est encore présente comme forme dominée. On peut voir cela en étudiant les relations des tribus avec les royaumes ou empires. 

Pareillement, quand les nations dites modernes en viennent à remplacer royaumes et empires, elles gardent certaines de leurs dimensions. Ainsi, les nations modernes européennes n’ont pas manqué de se constituer des empires coloniaux. Les États-Unis apparaissent comme une grande démocratie mais en même temps se comportent comme un empire. Récemment encore, avec leur mise en œuvre d’un contrôle informatique, visant à connaître toute l’information du monde. Avec des raisons mêlées entre lutte contre les terrorismes et avantages économiques recherchés pour leurs entreprises. 

III./ Les événements

8./ La réintroduction du cosmique, du vital et de la genèse biologique des humains

– 15 milliards d’années : l’Univers. – 5 milliards d’années : la Terre.

– 3 milliards d’années : l’apparition de la vie dans l’eau.

– 400 millions d’années : grande flore, vertébrés marins et terrestres, insectes. 

– 200 millions : mammifères, reptiles, dinosaures. 

– 60 millions : mammifères développés.  – 20 millions : singes anthropomorphes. 

– 5 millions : les australopithèques. – 2.300.000 ans : taille des galets et de l’os. 

– 1.800.000 ans : Homo habilis, différencie déjà activités masculines et féminines. 

– 1.300.000 ans : Homo erectus, pré sapiens.

– Autour de 600.000 ans : maîtrise du feu. 

– Autour de 400 000 ans : invention et usage des épieux, des armes de jet en bois. 

– Autour de 45 000 ans : l’art rupestre avec ses dizaines de millions de peintures et de gravures produites dans 160 pays sur tous les continents. 

Une belle rencontre que l’on ignorait hier entre la cosmogonie des Etres du Rêve – chez les Aborigènes australiens – et la cosmogonie d’une pré-genèse « confuse » de l’univers dans la religion égyptienne.

9./ Les genèses et les dynamiques des activités : les cinq « périodes » des sociétés

1.) A l’origine, on a une période syncrétique d’indifférenciation ou de difficile différenciation. Le religieux, le politique, l’économique et l’information se mêlent sinon se confondent. Un Shaman par exemple relève du religieux en tant qu’il est en relation avec les volontés des esprits invisibles mais en même temps il relève de l’information puisqu’il offre des connaissances concernant les contenus de leurs volontés. Pour ces raisons, il constitue une autorité pour les membres du groupe. De ce fait le chef, lui au plan du politique, devra trouver un accord avec le Shaman.

2./ En raison des bienfaits procurés par les dieux à son ancêtre, un lignage s’est imposé aux autres. Une lignée royale peut en résulter et même une dynastie héréditaire gardant le pouvoir tant qu’elle n’accumule pas de graves échecs intérieurs ou extérieurs. Dans cette forme de société, royale ou impériale, l’économie et l’information sont soumises au politique et au religieux à travers une organisation ritualisée des divers travaux. 

Cependant, en Europe et dans l’islam aussi, les acteurs du politique chercheront et parviendront à se libérer de l’autorité religieuse.

3./ Les acteurs du politique se libèrent de l’autorité religieuse en s’appuyant aussi sur les acteurs de l’information scientifique et technique comme sur ceux de l’économie. Dans ces conditions, l’économie et l’information se renforcent et à partir de là grâce à leur alliance, elles parviennent à constituer de nouvelles sociétés : les nations marchandes industrielles à perspective démocratique. 

Dans ces conditions, le religieux ne disparaît pas mais il est purifié de certaines de ses prétentions antérieures à diriger le politique, l’économie et l’information. 

4./ La montée au pouvoir des acteurs de l’économie se fait à travers la représentation politique indirecte. Le politique apparaît au premier plan mais il est orienté par des groupes d’intérêts puissants. Cela peut comporter une certaine corruption ou des fourvoiements stratégiques menant à des catastrophes humaines. Ce sera le cas avec les deux guerres mondiales. Le politique se retrouve défiguré par ses caricatures : génocide arménien, nazisme et génocide des juifs, fascisme, stalinisme, polpotisme et génocide khmer, maoïsme, génocide rwandais qui entraînent des millions de morts

L’économie a de moins en moins besoin d’agir dans la dépendance du politique. D’abord, elle réussit à travers le sentiment du progrès que nourrissent les avancées techniques à donner l’impression de la possibilité d’un « paradis sur terre ». En tout cas, c’est la direction qui s’impose et que relayent les idéologies médiatiques de la Société du spectacle

La domination de l’économie se renforce encore quand la concurrence qui s’impose au monde entier, fait imploser l’U.R.S.S. (1989) et oblige la Chine à se transformer. Sous le nom de globalisation, l’économie devient informationnelle mondiale grâce à l’informatique et la financiarisation. Elle entre alors dans tout un ensemble de manipulations inventives (« les produits dérivés ») qui engendrent dérives et corruptions multiples et croissance vertigineuse des inégalités. L’économie fait la preuve de performances réelles mais, en même temps, subit de graves échecs par rapport aux prétentions qu’elle oppose aux acteurs du politique et du religieux. 

5./ Une période nouvelle s’ouvre ainsi sur une vérité nouvelle, encore mal perçue et mal comprise. Les quatre grands ordres d’activités – religions, politiques, économies, informations – sont parvenus à faire la preuve de leurs apports considérables à l’humanisation et, en même temps, de leurs graves perversions inhumaines. Les grandes activités continuent à s’opposer. Certes c’est souhaitable pour qu’elles puissent se purifier par leurs contrôles réciproques. Mais ce n’est pas ce qui se produit, elles continuent à s’opposer chacune dans la perspective de réduire et de dominer les autres, voire même de les détruire. Ainsi, pour l’instant, l’économie informationnelle mondialisée et l’information médiatique tout aussi mondialisée gardent un certain contrôle de l’avenir humain.

Ce manque de composition inventive des grandes activités entre elles est la cause d’une incapacité de traiter correctement les relations écologiques de l’homme au cosmos et d’abord à la terre ; mais aussi les relations des sociétés entre elles. Les sociétés tombent toujours plus dans la destruction concurrentielle au détriment de l’émulation constructive. 

10./ Ecologie, catastrophisme éclairé, conquête spatiale (Dupuy. Cosandey, Van Lier, Hawking)

Aujourd’hui, les événements futurs sont déjà pensés comme possiblement bénéfiques ou catastrophiques pour l’humanité. Pour Jean Pierre Dupuy (2002), un « catastrophisme éclairé » n’est possible que si nous posons déjà la catastrophe comme certaine. Cela se justifie car nous n’avons aucune information suffisante pour prétendre la catastrophe impossible. C’est seulement en la croyant certaine que nous avons une chance de nous mobiliser pour la prévenir. 

David Cosandey (2007) se prend à penser qu’au 21ème siècle pourrait se reformer « un ensemble de grandes puissances riches, stables et rivales » en mesure de reprendre la conquête spatiale. Selon lui, cette reprise constituerait un stimulant d’une « grande importance technique et scientifique ». De plus, « En renonçant à la conquête de l’espace, l’humanité réduit ses chances de survie à très long terme. C’est seulement en étendant leur domaine de peuplement aux planètes voisines que les humains se mettraient à l’abri d’une catastrophe susceptible de ravager leur planète d’origine – comme une épidémie ou la chute d’une énorme météorite », chute qui « n’est pas aussi improbable qu’on le croit ». 

Cette reprise de la conquête spatiale ne serait pas de trop pour empêcher les sociétés d’aggraver leur nœud gordien planétaire. Incapables de le dénouer, elles se verraient alors obligées de le trancher dans de nouvelles violences extrêmes. 

Henri Van Lier (2010) fondateur d’une discipline nouvelle « l’Anthropogénie » est du même avis. C’est aussi le cas du grand cosmologiste, handicapé, Stephen Hawking (9-08-2010) qui précise sur son site internet 

« J’entrevois de grands dangers pour l’espèce humaine. La fréquence des menaces (internes et externes) va probablement augmenter à l’avenir… Si nous pouvons éviter une catastrophe, au cours des deux prochains siècles, notre espèce devrait être sauve à condition toutefois de nous déployer dans l’espace… l’espèce humaine doit coloniser l’espace dans les 200 prochaines années si elle ne veut pas disparaître » .

Hawking S. L’Homme doit coloniser l’espace pour survivre, Cyberpresse.ca. 08-2010. 

Brève bibliographie 

Baechler J. Esquisse d’une histoire universelle. Fayard, 2002.

Cosandey D. Le secret de l’occident, théorie du progrès scientifique, Flammarion, 2007.

Demorgon J. L’homme antagoniste. Économica, 2016. Omul Antagonist. Ed. România de Mâine, 2017.

Demorgon J. Complexité des cultures et de l’interculturel & Déjouer l’inhumain. Économica, 2010.

Demorgon J. L’histoire interculturelle des sociétés. Économica, 2002. 

Dumézil G. Mythe et épopée I. II. III. Gallimard. 1995.

Dupuy J.-P. Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2002.

Fukuyama F. Le début de l’histoire, Ed. Saint Simon. 2012.

Godelier M. Au fondement des sociétés humaines. Albin Michel. 2007.

Goody J. Le vol de l’histoireL’Europe impose au monde son récit. Gallimard, 2010.

Hawking S. L’Homme doit coloniser l’espace pour survivre, Cyberpresse.ca. 08-2010. 

Testart A. Avant l’histoire. L’évolution des sociétés. Gallimard. 2012.

Van Lier H. Anthropogénie. Bruxelles. Les Impressions nouvelles. 2010. 

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